Une agricultrice et sa famille en 1884

Le généathème du mois de février invite à parler d’un agriculteur (ou d’une agricultrice). J’ai le choix, la plupart de mes ancêtres travaillaient la terre ! J’ai choisi d’évoquer Marie Roy (1834-1920, ma sosa19) et sa famille à la ferme des Touches de Terves en me limitant à une seule année, 1884.

Quoi de mieux que l’estimation mobilière d’une métairie pour imaginer le quotidien d’un ancêtre agriculteur. À partir d’un inventaire, on peut découvrir le mobilier et les objets du quotidien, mais aussi quelles plantes étaient cultivées, quels animaux composaient le cheptel et la basse-cour, quels outils étaient utilisés… nous entrons de plein pied dans la ferme ! C’est ce que je vous propose de faire en visitant celle des Touches à Terves un jour de 1884.

Les terres et bâtiments appartenaient alors à Louis-Adolphe Compagnon. Habitant Coulonges-Thouarsais à 20 km de Terves, il avait acquis la ferme, sans doute en piteux état, 8 ans plus tôt pour la somme de 100 000 francs. Il avait fait rebâtir totalement les bâtiments d’habitation, d’exploitation et de servitudes en 1882 sur un nouvel emplacement plus proche de la route menant au bourg.

En 1884, la ferme toute neuve était habitée et exploitée par Marie Roy, 50 ans, veuve de Louis Chesseron, et par ses 2 beaux-frères vieux garçons, Jacques et François Chesseron, 52 et 50 ans. Elle était assistée par ses 2 enfants Louis et Marie Chesseron, 22 et 19 ans. Comme la ferme était importante, il y avait aussi un « valet », Henri Garnier, 14 ans, et une servante, Clémentine Delion, 37 ans.

1884 est l’année du mariage de la fille de Marie Roy, Marie Chesseron, avec Lucien Deborde. Les jeunes mariés vont s’installer à la ferme proche du Bois-de-Terves et pour ce faire, le couple désire toucher la part qui revient à Marie. Les bâtiments n’appartiennent pas à la famille mais tout le contenu ou tout au moins sa valeur peut être partagé. Les 2 premiers tiers reviennent aux oncles et il faut répartir le dernier tiers entre Marie, la jeune épouse de Lucien Deborde, et son frère Louis, héritiers de leur père décédé. Les deux beaux-frères étaient-ils fâchés ou tout simplement méticuleux ou procédurier ? Pour cette occasion fut rédigé l’inventaire extrêmement détaillé des biens contenus dans la ferme des Touches. Grâce à ce document mais aussi d’autres sources, je peux imaginer la vie de mon aïeule agricultrice, Marie Roy, et de sa famille à la fin du XIXe siècle.

La maison d’habitation se compose de 4 pièces alignées d’ouest en est :

  • D’abord, le fournil qui sert à préparer la cuisine. On y trouve, pétrin, poêles, grill, cafetière, seaux, marmites et chaudron à proximité de la cheminée. Il y a un lit, peut-être sert-il pour le fils Louis ou plus probablement pour la servante Clémentine Delion. La pièce renferme également 2 armoires contenant des paillasses et autre linge, et enfin en désordre des outils pour le travail aux champs ou au jardin.
  • Attenant au fournil, dans la première chambre, on découvre 2 lits dont un sert à Marie Roy et l’autre peut-être à sa fille Marie. La cheminée est équipée elle aussi en crémaillère, chenets, soufflet, marmite… C’est la pièce où tout le monde mange. Une table et ses 2 bancs, mais aussi 10 chaises sont là pour les repas. Le buffet surmonté de son vaisselier est plein à craquer d’assiettes (61) mais aussi de saladiers, plats, bols, cuillères et fourchettes. Des chandeliers et des lanternes permettent de s’éclairer le soir. La « pendule de 24 heures » égrène le temps qui passe. Une baratte pour faire le beurre et un fauteuil pour le repos complètent le mobilier.
  • Plus loin, la chambre dite principale héberge les 2 lits des beaux-frères, Jacques et François Chesseron. Comme dans les autres chambres rencontrées jusqu’ici, chaque lit se compose de bois à « rouleau » au chevet et au pied, d’une paillasse, de plusieurs couettes et plusieurs traversins, d’un oreiller, d’un couvre-pied et de rideaux. Une table, des chaises, 2 armoires pour leurs habits et une comtoise sont les autres meubles des vieux garçons.
  • La dernière chambre au levant semble avoir plusieurs usages. On y trouve 3 lits un peu moins confortables, sans doute pour le domestique Henri Garnier et le fils de la maison Louis Chesseron, des coffres, du matériel pour bricoler, quelques objets pour les champs et le nécessaire pour la cheminée.
  • L’étage au dessus des chambres se compose de 3 greniers qui semblent bien remplis par du matériel divers, des nappes et des draps et aussi par les réserves issues de la production.
Les terres exploitées par la métairie des Touches

Complété par l’étude du cadastre, l’inventaire de ces greniers mais aussi celui des bâtiments annexes (laiterie, étable…) permet de bien connaître l’activité de la ferme en 1884. Les terres font environ 45 hectares, ce qui est beaucoup pour l’époque. Les parcelles sont nombreuses, variées. Certaines, les brandes, sont incultes mais il y a des prairies et des champs de belle dimension, des bois, des châtaigneraies, et attenant à la maison, un jardin et un verger.

La production et le travail en conséquence n’autorisent pas trop la paresse. Les terres sont amendées avec de la chaux et du phosphate. Grâce à l’inventaire de 1884, je sais qu’on y cultive surtout du froment (220 hl), mais aussi du mil (2 hl), du trèfle (300 kg de graines), du lin, des haricots blancs (2hl) de la baillarge (4 hl), des pois verts (2 hl), de l’avoine (61 hl), de la bette champêtre (40 m3), des pommes de terres (140 hl) du raygrass (1 hl) du blé noir (3 hl)… Les fruitiers sont nombreux dans le verger d’autant plus que chaque année, le propriétaire fournit 20 nouveaux pieds à planter. Il y a surtout des pommiers (40 hl de pommes, 4 pièces de vin fruit pomme), et de la vigne (1 pièce de vin raisin, 1 hl de vin rouge). On ramasse et conserve les châtaignes. On exploite enfin les bois et bosquets pour le chauffage (1000 fagots de bois et 400 d’épines).

Il y a aussi de l’élevage : le jour de l’inventaire l’étable contenait 11 vaches et 19 veaux, 2 boucs, 3 chèvres, 5 porcs et 15 brebis (20 kg laine). Dans la basse-cour, il y a 20 oies (5 kg de plumes), 60 poules, 12 canes. À ces animaux, il faut ajouter les 10 bœufs et la jument utilisés pour leur force animale.

Et il y a enfin tout ce que ne décrit pas l’inventaire, le puits, l’abreuvoir, les toits, le tas de fumier…

Toute cette activité, importante et diversifiée nécessite beaucoup de matériel. On le trouve partout dans la ferme, au hasard des bâtiments, greniers, chambres, étable, laiterie…

  • des outils pour l’entretien : des forges et marteaux, rabots, tenailles, cognées, scies, échelles, meule à aiguiser, planches…
  • des instruments aratoires à main en quantité industrielle : des pelles à bêcher, des fourches, des serpes, des faux, des binoches…
  • d’autres objets à usage spécifique : une bascule romaine et ses poids, instruments de mesures (doubles décalitres…) un ventilateur (?), un manège à battre les grains…
  • tout ce qu’il faut pour transporter et emballer : seaux, sacs à grains, brouettes, bouteilles pour le vin ou le lait, bourgnes (gros paniers), paniers, bidons, fûts…
  • du matériel lourd pour les cultures et pour le transport : jougs pour les 5 paires de bœufs, charrettes, voitures, chariot, cariole, 2 versoirs, 1 herse, 2 tombereaux, et quelques-uns dont le sens m’échappe (prouail, aireaux et rabalons ???)…

Cette production permet aux habitants des Touches de vivre largement en auto-suffisance mais aussi de dégager un bénéfice substantiel en vendant les surplus de la production. Ainsi, au moment de l’inventaire, l’instituteur laïque, le curé et les religieuses de la commune de Terves doivent aux Touches du bois de chauffage, de l’avoine et de la paille. Il fallait que ce soit rentable pour payer le fermage (3 000 francs) et les « menus suffrages » au propriétaire (6 poulets, 6 chapons, 4 canards, de la laine, des marrons et de l’avoine) ainsi que tous les coûts liés à l’exploitation. Chaque année, il faut payer le forgeron, des engrais et bien sûr les domestiques indispensables pour faire tourner cette grosse ferme.

Voilà les lieux, les objets, le travail, les personnes qui vivaient dans cette ferme. Je devine ce qu’ils mangent, où ils dorment, comment ils s’éclairent et se chauffent. Il ne reste plus qu’à imaginer leurs journées bien remplies au rythme des jours et des saisons, aux champs, à l’étable, à la basse-cour, dans une ferme plutôt prospère. Quand la fille de Marie Roy, Marie Chesseron, quitte les Touches pour vivre avec son mari à la fin de l’année 1884, elle part avec le sixième qui lui est dû, un peu plus de 7 000 francs, ce qui représentait une belle somme à l’époque (entre 20 et 30 000 euros d’aujourd’hui).

Merci à mon lointain cousin Jean-Louis Guilloteau qui m’a transmis l’estimation mobilière des Touches en 1884.

8 commentaires sur “Une agricultrice et sa famille en 1884

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  1. Que de détails comme je les aime !
    Dans le dictionnaire du monde rural de Lachiver, on trouve pour aireau : sorte de petite charrue.
    Pour rabalon, sans doute à rapprocher de rabale : dans la Gâtine ou bocage vendéen, araire à oreilles symétriques pour effectuer les façons légères de l’été et pour repasser dans les terres humides les rigoles d’écoulement d’eau et d’automne.

    Aimé par 4 personnes

  2. Bravo pour cet inventaire que vous rendez très vivant. Pour le ventilateur dont vous faites mention, ne s’agit-il pas d’un tarare, machine destinée au vannage des grains, permettant de séparer le vol-au-vent des grains lourds destinés à la semence?

    Aimé par 1 personne

    1. Merci pour le compliment et bon vent à « La Cornouaille d’antan ». Vous verrez, c’est un plaisir de tenir un blog et d’échanger ainsi sur ses ancêtres, qu’ils soient du Poitou de Bretagne ou d’ailleurs.

      J’aime

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